Interview

réalisée par Dominique Abensour 1989

Le corps dont vous parlez n’est ni dans l’image ni même dans le geste, on le ressent dans le tableau et on l’entend dans les mots que vous employez pour dire la peinture quand vous parlez du “corps du papier” ou de “dénuder le paysage” ?

Dénuder le paysage, c’est chercher à comprendre pourquoi et comment le regard est brusquement saisi par un lieu. Dans cette opération le regard travaille, il construit. Mais pour que ce saisissement se manifeste il faut atteindre une sorte d’état de “ transparence ”, un état d’entière disponibilité. A ce moment le corps est ailleurs. C’est dans ces instants démunis que les images se forment pour se confronter plus tard, à l’atelier, à la matérialité des éléments qui constituent le tableau.
La sensation de corps vient sans doute de ce moment là.

Vous disiez que le regard travaille dans un aveuglement de la vision, or cette notion se jouait déjà dans les dessins diurnes où, en montrant très peu, vous empêchiez de voir…

Il y a une situation parallèle dans le traitement de la nuit. Pour moi la vue est une mémoire. Je ne peux pas oublier l’enseignement de Cézanne et son immense obstination à questionner ce qu’il est en train de voir en le restituant dans les codes de la peinture, autrement dit, dans un rectangle et à plat.
Il y a dans mon travail une pulsion d’expression qui se manifeste, quelque chose de très intense que je laisse passer. C’est dans ce mouvement qui intériorise le paysage que se produit ce besoin d’aveugler la peinture.

Vous avez dit un jour « chaque mot que j’ajoute c’est comme un morceau que j’enlève à la peinture. »

C’est que la parole participe à cette opération de masquage. C’est un champ extérieur à la peinture qui peut l’éclairer mais le véritable lieu où ça se passe reste sans parole.

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